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A la dérive (1/3)

  • benoitcombet
  • 29 mai 2022
  • 3 min de lecture



Il dormait encore quand j’ai délicatement tourné la porte de la maison. J’avais préparé mon sac la veille : le strict minimum. Pour la lettre ça avait été plus long. Enfin, le mot s’il fallait parler justement.


Je m’en vais. J’ai besoin de … J’ai besoin de … m’en aller ? Je vais la retrouver. Pardonne-moi mon amour. Je te souhaite de nombreux amants, tu le mérites amplement. Ton Nico,


J’ai laissé le vent s’engouffrer un peu, immobile sur le seuil. S’il s’était levé à cet instant, s’il s’était tenu devant moi le sexe en l’air, je crois que j’aurais fait demi-tour. Mais il dormait à poings fermés. Alors je suis parti. Si ma vie avait été un film j’aurais joué cette scène au volant d’une puissante moto, sur un air déchirant. Mais non, dans ma réalité crasse j’ai mis la route sous mes pieds, longeant les pavillons qui faisaient notre vie depuis quinze ans. Tous les mêmes. De belles haies, une pelouse tondue au millimètre. En ce début de journée pluvieux personne dans les rues. Comme mort. Je frissonnais. Comment avais-je pu supporter tout ça ? Par amour je suppose… Je suis arrivé à l’arrêt de bus, l’ai attendu. Quand enfin il s’est arrêté nous avons été trois à monter. Cette ville j’espérais la voir pour la dernière fois. Et c’est alors que tout a défilé sous mes yeux fermés. Notre rencontre. Moi, juste capable de mettre un pied devant l’autre. Lui, la tête dans les bras, la nuque secouée de spasmes. Des verres pleins la table, vides. Je tangue, me rattrape à sa chaise. C’est là que je le remarque. Je m’assois. Il réagit à peine. Les premières discussions. Il vient de se faire virer de chez lui. Et ses potes ont peur de l’accueillir maintenant que tout le monde sait qu’il est gay. Il est jeune. Et beau. Black out. On est dans mon pieu. Quinze ans ont passé. On a bien galéré, mais on a réussi chacun dans nos voies. Et surtout on s’est échappés. On a trouvé cette maison par des copains. Glauque. Mais loin de chez nous, loin des regards. Ici, tout le monde voit et entend les moindres faits et gestes mais personne n’en a rien à faire. Personne ne s’adresse la parole. Un endroit parfait en somme pour éviter les reproches. Et puis on en a fait un petit paradis. Un nid d’amour. Ou une cage dorée, c’est selon. On y a vécu de beaux moments. Le pacse par exemple. Des drames aussi ; la perte d’amis proches. Mais nous étions ensemble.


On a roulé longtemps. Puis j’en ai pris un second. Une nuit d’hôtel. Il n’a pas essayé de m’appeler. Pour être sûr de rester fort j’ai jeté le mien par la fenêtre du quatrième. Le voyage commençait. J’ai pensé à lui toute la nuit. Première fois que nous étions séparés sans perspectives de retrouvailles. J’ai fait l’amour à distance, tendrement. Puis repris le train.


Il s’est mis à pleuvoir. Dehors les prés. L’herbe verte. On approche. La gare. Une simple voie envahie par les herbes folles. Et maintenant, où aller ? L’auberge pour commencer si elle existe toujours. Dans le temps tenue par un vieux maréchal-ferrant. Papi y descendait toujours au passage. Ils étaient amis. Un de ses rares amis. Lui, saurait certainement m’indiquer comment rejoindre La Chaloupe. Mais on le sait déjà la vie réelle n’a que peu à voir avec les contes de fées initiatiques. Le Thon Barré a fermé ses portes et laissé place à une supérette Casino Market. Plus personne pour me rappeler les souvenirs du vieil Erwan. Et moi, perdu. Je suis venu là pour la dernière fois l’été de mes sept ans. J’en ai quarante-quatre. Alors j’ai fait la seule chose qui me semblait bonne. Je me suis assis à la table du bar. Ça au moins, il y en avait partout. Et j’ai bu, j’ai bu. J’ai trop bu. Beaucoup trop.



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